La spiritualité de Martin Bucer

La spiritualité de Martin Bucer

(Article initialement paru dans la Lettre aux Amis de la Communauté Saint-Nicolas)

Bien qu’étant le principal Réformateur de Strasbourg, Martin Bucer (1491-1551) est encore très mal connu, y compris au sein de son Alsace natale. Pourtant, il a beaucoup à nous apporter. Il a d’ailleurs exercé une grande influence sur la pensée de Jean Calvin. Je voudrais résumer ici l’enseignement que j’ai apporté à Saint-Nicolas dans le cadre de la journée UEPAL du 29 octobre 2023.

Chez Bucer, le Saint-Esprit occupe une place centrale. Et il ne se réduit pas à une doctrine ou à l’objet d’une croyance. Il n’est pas de l’ordre de la théorie. Au contraire, il est de l’ordre du vécu : le Saint-Esprit s’expérimente ! C’est lui qui crée et anime la foi et la vie chrétiennes. Or, on peut dégager cinq dimensions du Saint-Esprit chez le Réformateur de Strasbourg. Chacune d’elle correspond à un axe fort de sa spiritualité.

1. Esprit de la création et de la solidarité

Le monde créé est, dans son essence, un monde solidaire destiné à rendre témoignage à la bonté de son créateur. Rien n’existe pour soi-même. Toutes choses sont étroitement liées, interconnectées et interdépendantes. Elles ne sont donc pas faites pour être solitaires, mais au contraire solidaires les unes des autres, dans un esprit d’utilité réciproque et de service mutuel. En raison de la chute, les humains se sont soustraits à cette solidarité. Mais le Saint-Esprit repositionne les croyants dans l’ordre divin de la solidarité afin qu’ils apprennent à vivre dans une relation juste et saine avec l’ensemble de la création.

2. Esprit de filiation et d’amour

Si le Saint Esprit nous rétablit dans l’ordre solidaire de la création et s’il nous rend capable de nous engager au service des autres, c’est parce qu’il est l’Esprit de filiation et d’amour qui fait de nous des enfants de Dieu. La foi qu’il crée est précisément relation filiale avec Dieu. Or, une foi sans les bonnes œuvres n’est pas réelle. Toute foi authentique porte des fruits, et des bons fruits. La foi agit donc par l’amour. Bucer insiste sur le fait que l’Esprit de Dieu nous incite à nous oublier nous-mêmes afin de vivre entièrement pour le prochain à la gloire de Dieu.

3. Esprit de l’Ecriture et de l’obéissance

Comme les autres Réformateurs, Bucer affirme l’autorité souveraine de la Bible en matière de foi. Or, l’Ecriture transmet la volonté de Dieu qui doit régler la vie des disciples du Christ de tous les temps. Autrement dit, Bucer trouve dans la Bible la Loi au sens positif du terme. Cette Loi est une instruction qui donne des principes de vie et montre le chemin à suivre pour être fidèle à Dieu. Le Réformateur de Strasbourg insiste sur le fait que la vie chrétienne est un processus de sanctification qui passe par la mortification du vieil homme et le combat contre le péché. Contrairement à Luther, la Réforme de Bucer ne trouve pas son point de départ dans la quête d’un Dieu miséricordieux qui pardonne les péchés, mais dans la recherche de la volonté divine proclamée dans l’Ecriture afin que l’Eglise s’y conforme. Ce que souhaite Bucer, c’est que quelque chose du Règne de Dieu s’établisse sur la terre. C’est ce qu’il veut pour la ville de Strasbourg : dans sa recherche de fidélité à Dieu, l’Eglise doit impacter toutes les sphères de la cité.

4. Esprit de prière et de service

En tant que relation filiale avec le Père éternel, la foi suscitée par le Saint-Esprit implique le dialogue du croyant avec son Dieu. Mais ce dialogue de la prière personnelle n’est pas une fin en soi. Il a pour but de disposer fortement le cœur du croyant à suivre la volonté de Dieu et donc de l’équiper en vue du service du prochain. De même, le culte doit avoir pour conséquence logique l’entraide, la diaconie. 

5. Esprit de communion et de confession de la foi

Le Saint-Esprit crée une foi communautaire et confessante.

5.1. L’importance de la vie communautaire : Lorsque l’Esprit Saint suscite la foi, il crée aussi la vie communautaire qui en est indissociable. Foi et communauté sont indissociables.

5.2. Les ecclésioles et le christianisme confessant : Entre 1546 et 1548, il tente de mettre en place au sein de certaines paroisses strasbourgeoises des Christliche Gemeinschaften (communautés chrétiennes). Tous les dimanches après-midi se rassemblent au sein de ces ecclésioles des chrétiens qui souhaitent recevoir une formation biblique plus poussée et se soumettre à une discipline plus rigoureuse que celle pratiquée habituellement. Pour y entrer, il faut y faire une confession de foi personnelle. Bucer souhaite faire de ces groupes de maison des moteurs pour l’ensemble de l’Eglise. Pour favoriser ce christianisme davantage confessant au sein de l’Eglise multitudiniste, Bucer invente aussi la confirmation. A travers elle, les adolescents qui ont été baptisés petit enfant confessent personnellement leur foi, s’engagent envers Dieu et l’Eglise, deviennent membres à part entière de l’Eglise et peuvent partager le Repas du Seigneur.

5.3. L’unité : Qui dit Esprit de communion, dit unité. C’est pourquoi l’Esprit de communion qui animait Bucer le poussait à œuvrer pour l’unité des chrétiens de façon ardente, tenace et inlassable. Il a tenté, en vain, d’unifier la Réformation et il n’a cessé de tendre la main tant aux radicaux qu’aux catholiques romains. Ce cœur pour l’unité le conduit à dépasser les frontières, en intervenant en Allemagne, en Suisse, dans le Royaume de France, en Italie, en Europe de l’Est, en Suède et en Angleterre. Comme l’écrit Marc Lienhard, Bucer est un « passe-frontière libre, passionné d’unité ».

Quatre remarques de conclusion 

1°/ Pour Bucer, la foi créée par le Saint Esprit ne se réduit pas à une relation intimiste du chrétien avec son Sauveur ; elle ne le coupe pas de l’ensemble de la création. Au contraire, elle investit le monde. Tout simplement parce qu’elle est accueil du Règne de Dieu sur l’ensemble de la réalité. C’est une foi unifiée qui joint le ciel et la terre, Dieu et le monde, l’intériorité et le service. En tant que telle, elle est « cosmique » et solidaire, scripturaire et obéissante, priante et servante, communautaire et confessante. 

2°/ Tout ce que nous avons vu concernant la volonté de Dieu pour l’ensemble de la création comme ordre solidaire nous offre certains éléments importants pour construire aujourd’hui une pensée écologique chrétienne.

3°/ La pensée de Bucer est apte à nourrir l’engagement social des chrétiens.

4°/ De tout cela résulte le fait que la spiritualité de Bucer est profondément incarnée : son christianisme, centré sur l’œuvre et l’expérience du Saint-Esprit, est un christianisme pratique.

Stéphane Kakouridis
Communauté Saint Nicolas - Strasbourg



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