C’est avec satisfaction et soulagement que j’ai lu le communiqué que, à la demande du Président Christian Albecker, les DNA ont publié le vendredi 8 novembre.
Soulagement, car l’article du 2 novembre, par son chapeau et par son traitement unilatéral de la question, laissait clairement entendre que le vote du 16 novembre était déjà joué. En le lisant, ma réaction avait été la suivante : au mieux, cet article préjuge des résultats d’un vote qui pourtant, comme tout vote démocratique, devrait en principe être ouvert ; au pire, il tente d’influencer ce vote, la publicité donnée aux bénédictions déjà prononcées sur les unions homosexuelles sous-entendant qu’en approuvant ces bénédictions, l’UEPAL ne ferait que se mettre en accord avec une pratique déjà assez largement répandue.
Satisfaction, car le communiqué rappelle que les pasteurs qui ont prononcé ces bénédictions et qui ont bénéficié – à la différence des opposants à la bénédiction des unions homosexuelles – d’un traitement médiatique particulièrement complaisant contreviennent à la décision prise il y a cinq ans.
Pour autant, ce communiqué de quelques lignes ne saurait, hélas, effacer entièrement les impressions laissées par l’article du 2 novembre.
Il ne saurait les effacer, ne serait-ce que parce que ces lignes du 8 novembre sont bien plus discrètes que la pleine page (avec photographie en couleur de la « bénédiction » d’une union homosexuelle) publiée une semaine auparavant au début du cahier « Région » des DNA.
Il ne saurait les effacer parce que l’on trouve, dans les « Infos CP » de novembre, plusieurs éléments de langage présents dans l’article du 2 novembre.
– C’est le cas de l’opposition entre ceux pour qui « la Bible énonce des normes intangibles qui doivent traverser les siècles » (l’article des DNA les qualifiait de « déductifs ») et les autres, pour qui « ces mêmes textes doivent être réinterprétés à la lumière des évolutions sociétales » (les « inductifs »). Cette opposition me semble un peu caricaturale, car nous aussi estimons qu’il faut dégager le message de la Bible pour aujourd’hui et ne sommes pas insensibles aux évolutions sociétales. Toutefois, notre interprétation – aujourd’hui et avec tous les moyens dont nous disposons désormais – ne nous permet précisément pas de légitimer la « bénédiction pour tous », bien au contraire. Nous pensons par ailleurs que ce ne sont pas seulement les évolutions sociétales qui doivent interroger les textes bibliques, mais que ce sont aussi les textes bibliques qui doivent questionner ces évolutions ; il est surprenant que le texte de « Infos CP » ne dise pas cela.
– C’est le cas aussi de l’idée selon laquelle la bénédiction d’un mariage (donc aussi d’un mariage homosexuel) ne serait qu’un « élément secondaire », qu’un « adiaphoron ». Les débats, souvent très vifs, du XVIe siècle sur les « adiaphora » nous montrent clairement qu’il ne suffit pas de décréter d’en haut ce qui est neutre ou secondaire pour la foi et pour la communion ecclésiale : ainsi, Philippe Melanchthon parlait d’« adiaphoron » là où d’autres disciples de Luther contestaient son emploi pour décrire un certain nombre de pratiques catholiques, que Melanchthon était prêt à réintroduire. Et dans la mesure où la question de la « bénédiction pour tous » est liée à la centralité (ou non) de la Bible dans nos Églises protestantes, il me semble que l’on ne peut pas répondre d’emblée par l'affirmative à la question de savoir si elle est un « adiaphoron ».
Il reviendra à l’Assemblée de l’union du 16 novembre de clarifier également cette question, en donnant la priorité au débat de fond – le seul légitime dans le protestantisme – plutôt qu’aux luttes d’influence.
Matthieu Arnold,
Professeur d’histoire du christianisme