Pascal Geoffroy, pasteur, membre des Attestants, revient sur la création de ce mouvement, au regard de l’histoire.
Près de quatre ans après la naissance des Attestants, je partage ici quelques éléments de réflexion sur la place et la dynamique de ce mouvement dans l’ÉPUdF. Sa naissance a permis de limiter du moins en partie le départ de pasteurs et de fidèles après le synode de 2015 et la décision de bénédiction du mariage des couples de même sexe. Mais en vue de quoi ? Pour vivre quoi dans notre Église qui, pour une large part ne comprend pas ce que représente ce mouvement ? Sur cette question je propose quelques réflexions à l’usage des Attestants dont je suis membre, élu au conseil d’administration comme à usage de l’EPUdF dont je suis un ministre.
Le schéma catholique
Depuis les premiers temps, l’Église cherche à accompagner deux réalités : d’une part, des membres qui désirent vivre à la suite de Jésus comme des disciples. D’autre part, des membres dont les motivations formulées vont être plus partielles : à partir d’un événement ou une simple curiosité, des êtres se rapprochent de l’Église pour faire avec elle un bout de chemin.
L’Église catholique avait développé ces deux approches confessante et multitudiniste séparées par une clôture. D’un côté, les couvents et monastères, où la discipline ecclésiastique était exigeante. D’un autre côté, les diocèses avec une discipline plus souple pour la multitude. Il y avait l’idée que les moines et les religieuses étaient de « meilleurs » chrétiens que les fidèles des paroisses et des diocèses. À la fin du Moyen Âge, l’Église de multitude était matériellement au service de l’Église des clercs.
La Réforme protestante a refusé cette dichotomie parce que Jésus a donné « le pouvoir des clés » à chaque croyant. Nul besoin d’être un religieux pour être un « bon chrétien ». L’idéal monastique n’est pas rejeté, il est au contraire transposé au cœur des paroisses pour y être vécu comme une nouvelle spiritualité accessible à tous et résumée par ces deux mots : Labor et Fides. Les réalités confessante et multitudiniste continuent d’exister dans l’Église, parfois à l’intérieur d’une même personne.
L’ecclésiologie protestante historique est ainsi dès le début une Église de confessants, pensée et instruite à l’intérieur d’une Église de multitude et non pas à côté d’elle comme dans le modèle catholique. Il y a entre ces deux réalités confessante et mutitudiniste, une continuité et une contiguïté totales. On passe sans cesse de l’une à l’autre. L’Église de confessants est stimulée par l’Église de multitude pour ne pas s’endormir dans une paresse ou une arrogance spirituelles et l’Église de multitude est stimulée par l’Église confessante pour ne pas s’installer dans le sentiment de satisfaction d’être déjà arrivée au but.
Ce modèle d’Église confessante au cœur de la multitude, charpenté par la théologie protestante classique, a ainsi vécu plusieurs siècles en donnant au protestantisme historique son génie propre et une fécondité prodigieuse née d’une continuité visible entre les foules incroyantes et leurs besoins, l’Église de multitude et l’Église confessante.
Le protestantisme a en effet inversé la logique de service qui prévalait dans l’Église catholique. Les Réformateurs et leurs successeurs, et surtout les fidèles confessants, se sont mis au service de la multitude et au service des incroyants en leur annonçant l’évangile du Salut et en se préoccupant au nom de l’Évangile des conditions matérielles de vie des foules.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, progressivement, la dimension confessante s’est estompée. Des mouvements internes et externes en convergeant dans leurs effets ont favorisé cette évolution. Par exemple, en se positionnant d’une manière réactive face aux nouvelles Églises évangéliques strictement confessantes, les Églises réformées et luthériennes ont affirmé d’une manière croissante leur modèle multitudiniste. Elles ont ainsi abandonné dans les faits d’abord puis avec des justifications intellectuelles de plus en plus hardies, l’originalité de leur histoire et le modèle ecclésiologique qui était leur spécificité.
On s’est attaché à définir le membre d’Église comme avant tout le membre d’une association loi de 1905. On parle même de « bénévoles ». L’accent s’est ainsi déplacé du vouloir de Dieu au bon vouloir humain. En 2013, on a renoncé au terme « discipline » qui renvoyait à la réalité humaine et spirituelle du discipulat, donc à une relation personnelle dans toutes les dimensions de la vie avec le Christ, au profit d’un vocable juridique « constitution ».
La prédication et la catéchèse n’ont plus eu comme objectifs de former une Église confessante, c’est-à-dire une Église de disciples au sein de l’Église de multitude. La lecture de la Bible a reculé. Les clés bibliques et théologiques que les Réformateurs à la suite du Christ avaient voulu donner à tous se sont à nouveau concentrées sur un petit cercle au risque que l’Église de multitude se retrouve ainsi à nouveau comme dans le modèle catholique ancien au service d’une structure qui, à tous les niveaux, absorbe de plus en plus d’énergie et de moyens pour son fonctionnement dans une logique centripète au détriment de la mission.
Dans une Église de multitude, les croyants sont plus axés sur leurs besoins, leurs attentes, leurs possibilités et leurs impossibilités au risque d’un consumérisme égocentré. Dans une Église de confessants, on recherche en premier lieu une relation avec le Seigneur et sa volonté, en prenant le risque d’une projection narcissique. Multitudinistes et confessants ont besoin les uns des autres dans la même Église pour ne pas s’enferrer dans leurs déviances respectives toujours possibles.
Les attentes du Seigneur
La naissance du courant des Attestants est à comprendre de mon point de vue comme une tentative de renouer avec un trait particulier de notre histoire, signe d’une originalité qui n’est ni celle de l’Église catholique, ni celles des Églises évangéliques : former une Église confessante dans une Église de multitude avec une dynamique centrifuge de service.
La question est de savoir si l’Église se centre à partir des demandes et attentes de la multitude ou si elle est axée sur les attentes du Seigneur qui répond à sa manière et parfaitement à nos besoins les plus profonds. Une prédication qui vise les membres confessants mais inclut aussi la multitude et les incroyants curieux en visite dans nos temples – ou qui vise la multitude en incluant les confessants est possible et nécessaire.
Une offre diversifiée pour les enfants et les jeunes est possible et nécessaire en incluant la formation de jeunes disciples comme répondant aux attentes de culture religieuse. Un éventail d’approches bibliques diversifiées est possible et nécessaire, les unes pour stimuler l’appétit, les autres pour structurer une vie d’engagement et de service dans le couple, la famille, le travail, la société.
Les Attestants ne sont pas en eux-mêmes cette Église confessante dans une Église de multitude, mais ils peuvent en favoriser dans l’ÉPUdF l’émergence nécessaire au service de tous, au service de la multitude et surtout au service des incroyants et à travers eux au service du Seigneur de l’Histoire.